Publié le 09/09/2010

Discours de Mme Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé et des Sports - 9 septembre 2010

Discours de Mme Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé et des Sports - 9 (...)

A l’occasion de la XIIIe session de l’assemblée des Français de l’étranger, Mme Roselyne Bachelot a prononcé un discours centré sur la bioéthique dont l’intégralité est reproduite ci-dessous. Le document ci-contre comporte les questions des membres de l’AFE ainsi que les réponses du Ministre.

Chers Amis, merci de m’accueillir pour cette séance de travail. Merci, Madame la vice-présidente, que je retrouve avec plaisir, chère Denise REVERS-HADDAD, après notre voyage à Beyrouth pour les Jeux de la Francophonie, où nous avions eu l’occasion d’échanger. Je vois beaucoup de visages amis. Je ne vous saluerai pas tous en vos titres et qualités. Un petit mot pour Christiane KAMMERMANN qui a eu la gentillesse de m’inviter hier à un apéritif amical.

Mesdames et Messieurs les Sénatrices et Sénateurs, Mesdames et Messieurs les Conseillers, Mesdames, Messieurs, Très chers Français de l’étranger, Chers compatriotes,

Quand nous sommes séparés du sol français, nous ressentons plus fort le lien qui nous unit au pays. J’ai eu l’occasion moi-même de passer une partie de ma carrière professionnelle loin de France. J’ai ressenti ce que vous pouvez ressentir. Distants, nous apprenons à nous connaître ; étrangers, nous comprenons qui nous sommes. Être Français, ce n’est pas simplement partager des racines et des traditions, être attaché à des coutumes. Sans doute la nostalgie d’un paysage rappelle à chacun ses origines, mais la variété de nos territoires, la diversité de nos terroirs, qui sont traversés par tant d’influence, interdisent de réduire la France à telle ou telle image d’Épinal. Il y a bien sûr ces mythologies françaises et ces clichés dont nous aimerions tant pouvoir nous défaire. Il y a ces plis, des bons, des mauvais, qui constituent un caractère commun. Et puis, il y a ces valeurs, dont le monde voudrait que nous donnions l’exemple par nos moeurs et notre politique, ces principes qui fondent notre République, principes gravés au fronton de nos écoles, de nos mairies et qui structurent nos lois. Où donc s’exprime avec la plus grande éloquence, notre identité commune, notre identité profonde ? C’est bien, j’en suis convaincue, dans le débat démocratique visant à éprouver notre attachement à ces valeurs, notre adhésion à ces principes. Ce n’est pas en parlant de nous-mêmes que nous disons le mieux ce que nous sommes. C’est en nous transportant au-delà de nous-mêmes, pour tenter d’évaluer ensemble le bien fondé de nos projets collectifs, que se manifeste la vocation de notre patrie, vocation humaniste et
cosmopolitique.

C’est à l’occasion des États généraux de la bioéthique que j’ai organisés l’an dernier, que m’est apparue très clairement cette évidence : les Français partagent une vision du progrès déterminée par une certaine idée de l’Homme ! Les Français, qui sont souvent querelleurs, se retrouvent généralement dans un idéal d’émancipation, qui suppose une société plus hospitalière que marchande. Les Français aspirent à une politique de civilisation dont ils se sentent tout autant fondateurs qu’héritiers. Ils veulent des lois qui garantissent le respect des personnes, de leur dignité, de leur intégrité, de leur autonomie,
des lois justes, plutôt qu’un droit compassionnel qui tolère, sans l’assumer vraiment, une inflation d’exception à la règle commune. Ils veulent des lois protectrices plutôt qu’un droit suiviste qui favorise des transgressions dont les premières victimes seront toujours les plus faibles.

La médecine doit-elle répondre à tout prix au désir d’enfant ? Jusqu’où chercher à savoir si l’on risque d’avoir certaines maladies ? Comment la recherche doit-elle respecter l’humain ? Faut-il sauver des vies à n’importe quel prix ? Jusqu’à quel point chercher à avoir un enfant en bonne santé ? Telles sont certaines des questions de la bioéthique, qui engagent une conception de l’humain et du vivre ensemble. C’est à chaque fois le problème des limites qui se trouve posé. L’alignement par le bas des normes en vigueur serait considéré comme une régression. Le débat citoyen a en effet permis d’apprécier la vitalité dans notre pays, d’une demande de repères, de régulation. Un rejet sans équivoque de toute forme de dumping éthique s’est exprimé à cette occasion. Les Français attendent de l’État qu’il soit en mesure de protéger chacun - en particulier les plus vulnérables – contre les dérives mercantiles que connaissent tant d’autres pays, les expérimentations, les pratiques qui bafouent l’intégrité du corps humain. L’extension de la liberté de contracter ne fait pas l’objet, dans notre pays, de revendications particulières. Les Français redoutent même la perspective d’une société qui ne serait régie que par une logique strictement utilitariste. L’adhésion que suscitent dans notre pays, le principe général de la gratuité du don et le refus persistant d’accorder au corps, une quelconque valeur patrimoniale, sont la traduction sans équivoque, d’un souci partagé et d’une aspiration
commune. Le projet de loi bioéthique que je défendrai répond clairement aux attentes qui se sont exprimées. Les interdictions
qu’il maintient visent à protéger les personnes contre les risques d’une exploitation biologique des corps, induit aujourd’hui par un usage incontrôlé des techniques biomédicales, comme en attestent le développement du trafic d’organes, ou encore la location en ligne de mères porteuses, ou la commercialisation d’ovocytes à visage découvert. J’ai navigué moi-même sur Internet. Vous pourrez trouver sur les sites de cliniques installées dans tel ou tel de vos pays de résidence, de l’Ukraine à la Californie, une offre très complète de services. Nous sommes dans une sorte de supermarché. Des jeunes femmes, des brunes, des blondes, des rousses, dont l’origine ethnique est mentionnée, dont le niveau d’éducation est précisé, vendent leurs gamètes ou proposent une gestation pour autrui.

La France est-elle en avance ou en retard, lorsqu’elle veille à ne pas autoriser tout ce qui ailleurs peut se faire, dans un contexte de mondialisation des échanges ? Les règles que ce projet consolide visent à garantir le respect des différences et la non-discrimination, à protéger, je le répète, les plus vulnérables contre toute forme de stigmatisation. La France est-elle en avance ou en retard, quand elle réserve le diagnostic préimplantatoire aux maladies incurables d’une particulière gravité ? La France est-elle conservatrice ou progressiste, quand elle reconnaît la suprématie du droit de l’enfant et n’accorde en revanche, au droit à l’enfant, aucun fondement juridique ? Si l’on entend bien ce qu’il s’est dit lors des débats préparatoires au réexamen des lois bioéthiques, ce serait une abdication, un recul, un renoncement, de laisser, au non d’un modernisme de surface,
s’émietter les principes qui structurent nos lois de bioéthique depuis 1994.

C’est pourquoi l’ambition de mon projet de loi est avant tout de consolider un édifice protecteur qui a fait ses preuves. Un grand nombre de dispositions améliore substantiellement la formation des personnes, trop souvent ignorantes des limites, des objectifs, des contraintes spécifiques des techniques biomédicales auxquelles ces personnes ont recours. C’est en ce sens par exemple que je propose l’encadrement législatif des pratiques obstétricales et foetales. Ce type de dispositions est d’ailleurs doublement protecteur : des patients mieux protégés et mieux renseignés ; des professionnels eux aussi mieux protégés contre le risque d’inflation contentieuse.

Si mon projet de loi ne contient aucune disposition qui viendrait enfreindre tel ou tel principe cardinal, il introduit néanmoins des dispositions innovantes. Ces innovations signent l’alliance de l’éthique et de la médecine. Ces nouveautés répondent à un seul objectif : faire en sorte que notre pays soit à la pointe des techniques médicales et biomédicales, tout en faisant prévaloir une conception du progrès au service de l’humain, guidée par des principes éthiques clairement définis. Ainsi, dans le champ de la greffe, l’autorisation de la pratique des dons croisés d’organes, devrait permettre de sauver des centaines de vies par an, tout en favorisant le développement de la solidarité. De même, le nouvel encadrement des procédés d’assistance
médicale à la procréation devrait renforcer la qualité, la sécurité, l’efficacité des pratiques, entourées de toutes les garanties éthiques. Cette disposition devrait notamment permettre la mise en oeuvre de la vitrification d’ovocytes : ce procédé de congélation ultrarapide garantissant une meilleure conservation et une meilleure utilisation des ovocytes, pourrait induire une réduction potentielle du nombre d’embryons congelés. Enfin, l’ouverture d’une possibilité d’accès à l’identité du donneur pour les personnes issues d’un don de gamètes s’inscrit résolument dans la voie ouverte par la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’homme. Cette disposition traduit une meilleure prise en compte de l’intérêt de l’enfant et responsabilise le don sans imposer au donneur de révéler son identité.

La conception du droit et la vision du progrès que je viens de définir structurent de part en part, mon projet de loi relatif à la bioéthique. Ce texte serait-il le fruit d’une réflexion strictement hexagonale ? Son ambition universaliste n’est-elle pas même la marque d’un tropisme français ? La réponse à ces questions est essentielle. Elle détermine l’esprit de nos lois et la force de notre engagement. Elle nous indique qu’être Français, c’est toujours prendre en considération autre chose que la France. Elle nous rappelle aussi cette évidence oubliée, que pour nous faire entendre, nous devons parler la langue humaine. Et pour tout cela, car je sais que vous en êtes profondément convaincus, je vous remercie.